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Archives provinciales du Nouveau-Brunswick

Mgr Donat Robichaud, recherches historiques et généalogiques

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Référence10759
Lieu
Date1945-04-05
Description LETTRE D'UN AUMÔNIER ACADIEN qui a pris part à l'invasion. Lettre-de l'abbé Louis de Gonzague Daigle à son cousin, M. Lionel Robichaud de St-Jean, Qué.

15 Canadian Field Ambulance, R.C.A.M.C. C.A.O., le 19 décembre 1944.

Bien cher cousin,

Votre lettre, reçue récemment, m'a certainement beaucoup aidé. Je vous en remercie mille fois. Merci aussi pour les bonnes prières pour ma chère et regrettée maman. Perdre sa mère pour un prêtre c'est encore plus dur je crois. En dépit des vérités de foi si consolantes, le prêtre peut-être est plus attaché à sa mère que pas un autre. Ceci se comprend sans explication. Elle était surtout d'une grande foi et d'un abandon complet dans la divine Providence. Je ne doute pas qu'elle soit déjà au ciel mais avec une aussi grande famille que de responsabilités!

Je vous écrirai plus tard et tâcherai de vous donner quelques détails des observations que j'ai pu faire durant cette campagne à travers l'Europe. Notre travail, nos rapports avec la population, comme aumônier, nous mettent plus à même de faire des contacts, ce qui vaut bien des jours d'étude.

J'ai passé les mois d'hiver dernier en Angleterre, dans le sud, au fameux Aldershot que tous les Canadiens connaissent. J'étais dans un camp de renforts: les soldats alors s'en allaient en Afrique, Sicile et en Italie. Au mois d e février 1944, j'ai été transféré dans l'artillerie à Bramshaet. A l'approche de l'invasion, j'ai été le premier aumônier à faire partie des deux «Canadian Ease Reinforcement Units» avec le brigadier Francoeur que vous connaissez peut-être car il est du Québec.

Le 6 juin à 5h30, nous partions pour une destination inconnue. Sur le train, nous avons appris que l'invasion était commencée. En pleine mer seulement on nous a laissé savoir que nous débarquerions en Normandie. Quoique dans un bataillon de renforts, nous avions l'équipement des troupes de choc. Il faudrait un gros volume pour raconter ce que j'ai vu alors dans 24 heures. Le secret de l'invasion était si bien gardé, même parmi les troupes, que tout nous était nouveau. Je croyais pourtant avoir vu bien des choses mais je n'avais encore rien vu.

Imaginez si j'avais hâte de voir la Normandie, le pays de nos ancêtres. Raconter le premier émoi sur le sol de France me donnerait sûrement un cauchemar. A peine débarqués, nous étions sur le champ de bataille. On se battait tout autour de nous. Nous n'avions pas dormi, nous avions faim et étions fatigués, épuisés. Tout semblait être un rêve. Nous avons vite appris que le plus sûr endroit était sous terre. Dispersés par groupes nous nous sommes retrouvés le soir et j'ai appris que 18 de mes hommes étaient morts et 30 blessés. J'avais appris autre chose, il y avait un peu partout des morts, des blessés; alors jour et nuit il fallait faire le véritable travail de l'aumônier. J'ai compris ce que c'est que le service actif sur le champ. La situation n'a guère changé pendant un mois. Après la prise de Caen et la bataille de Falaise, nous sommes restés en arrière pendant quelques semaines. Nous étions cantonnés dans un verger tout près de Douvres, Notre-Dame-de-la-Délivrance, Luc-sur-Mer, Lion-sur-Mer. En plus de mon bataillon, j'avais environ 25 autres unités et j'étais même curé de la paroisse, le curé ayant été tué le jour de l'invasion.

Lorsque mon bataillon a été prendre ses quartiers à Dieppe, j'ai eu un appointement avec mon unité actuelle (15 Field) qui se trouvait déjà en Belgique. Ce qui m'a fait plus de peine c'est que je n'ai pas encore pu aller au pays de l'Aigle. Le temps ne me l'a pas permis mais j'ai passé tout près en convoi. Mon premier repos depuis mon départ du Canada a été 48 heures à Anvers il y a deux semaines; mais j'ai droit à 9 jours le mois prochain, si je peux me faire remplacer.

J'ai remplacé le père Mooney, le seul qui a été tué parmi nos aumôniers catholiques durant cette guerre. Je suis en action depuis le 17 septembre en Belgique et Hollande. Je n'ai pas encore eu une égratignure pourtant j'ai été en danger bien des fois. Du 7 juin au 18 août, du 17 septembre au 20 novembre, j'ai vu la mort de près des centaines de fois. Le 24 octobre, un obus 88 allemand a frappé dans la chambre que nous habitions en Hollande; du même coup j'ai perdu mon ordonnance et mon camion. Un miracle ou l'instinct de préservation m'a sauvé la vie encore une fois.

Les principales villes que j'ai visitées sont Bayeux, Caen, Lisieux, Deauville, Quistriam, St-Lo, Villiers, Bocage, Abbéville, Le Havre, Dieppe, Lille, Versailles, Paris, Arras, Ypres, Bruxelles, Gant, Anvers, Bergen, Boom, Breada et plusieurs autres villes de Hollande. Partout j'ai trouvé les gens bien sympathiques en France et en Belgique surtout pour les Canadiens français. Les Canadiens sont populaires partout, même en Angleterre et en Ecosse. Tous ces pays ont beaucoup souffert de la guerre, il faut voir pour croire. Les souffrances morales sont peut-être les plus sérieuses.

Je suis toujours en parfaite santé et j'aime mon travial car il y a tant de bien à faire partout. Je n'ai jamais si bien compris ma vocation que dans l'armée.

Bon et Joyeux Noël à toute la famille ainsi qu'âne Heureuse. Année.

Que le bon Dieu vous bénisse tous.

Votre cousin reconnaissant,

Louis-Gonzague Daigle, prêtre (p. 4)

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4.11.1