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04 mai 2024  
 

Solidarités provinciales

La lutte contre le contrôle des salaires, 1975-1976

<JOURNÉE DE PROTESTATION À SAINT-JEAN, 14 OCTOBRE 1976 : La foule de manifestants solidaires envahit la rue King à partir du King's Square en bas de la côte jusqu'à l'Hôtel de ville.

Au début des années 1970, le syndicalisme semblait gagner du terrain au Canada. Ainsi, les travailleurs du secteur public réalisèrent une percée importante en obtenant le droit à la négociation collective. Plus d'un million de nouveaux membres se joignirent aux syndicats dans les années 1970, et le taux de syndicalisation global augmentait considérablement. En 1972, le nouveau Code canadien du travail proclama le rôle constructif que jouaient les syndicats dans la société canadienne en assurant aux travailleurs une juste part de la prospérité économique du Canada.

Mais les années 1970 furent également celles où le revenu réel des travailleurs cessa d'augmenter et où les taux de chômage atteignirent des sommets qu'on n'avait pas vus depuis la fin de la Grande Crise. Comme c'est normalement le cas dans les périodes de crise économique, les travailleurs furent les premiers à subir les effets des défaillances du système économique. On abandonna l'idée d'une justice distributive préconisée par l'économie keynésienne et l'on cibla de plus en plus l'inflation comme étant le problème le plus important dans l'économie canadienne.

Lors de la fin de semaine de l'Action de grâce 1975, le premier ministre Pierre Elliott Trudeau prononça un discours à la télévision où il annonça son intention de s'attaquer à l'inflation par la mise en œuvre d'un programme de trois ans de contrôle des prix et des salaires, une stratégie qu'il avait ridiculisée lors de la campagne électorale fédérale l'année précédente. Le premier ministre s'était longtemps considéré comme un ami des syndicats; plus tôt dans sa carrière publique, il avait déclaré que le droit à la libre négociation collective était un élément essentiel au fonctionnement d'une société démocratique. Pour de nombreux Canadiens et Canadiennes qui avaient espéré que les années 1970 seraient une décennie de progrès accrus vers la société juste promise par Trudeau, les événements de 1975 mirent fin abruptement aux espoirs.

L'annonce du contrôle des salaires en octobre 1975 fut le début d'une longue année de confrontation entre le mouvement syndical et le gouvernement. Les travailleurs protestèrent en affirmant que les prix n'étaient pas contrôlés et que le contrôle des salaires protégeait les profits des entreprises aux dépens des travailleurs. Étant donné que les conventions collectives négociées entre les syndicats et les employeurs étaient annulées par la Commission de lutte contre l'inflation, nouvellement créée par le gouvernement, il en résulta de l'injustice et des inégalités, en particulier parmi les travailleurs qui comptaient sur leur syndicat pour contrer la hausse des prix et surmonter les disparités régionales.

Le contrôle des salaires eut de fortes répercussions à Saint-Jean, où le Conseil du travail de Saint-John et région organisa une réponse particulièrement musclée. À un moment critique en 1976, George Vair, un activiste syndical de 35 ans, devint président du Conseil du travail. À mesure que les plus vieux syndicalistes se retiraient de la scène, Vair et d'autres de sa génération étaient poussés vers l'avant dans des postes de leadership. Barbara Hunter, du Syndicat canadien des travailleurs du papier, section locale 30, Michael Haynes et Larry Hanley, du Syndicat canadien des travailleurs du papier, section locale 601, et Jim Orr, de l'Association internationale des débardeurs, section locale 1764, figurent parmi les membres militants du Comité de contrôle des salaires qui relevèrent le défi.

Le militantisme de membres affiliés et d'activistes dans des localités telles que Saint- Jean contribua à inciter le Congrès du travail du Canada à endosser une campagne de plus grande envergure. Ce mouvement culmina par la protestation populaire parrainée par le Congrès du travail du Canada le 14 octobre 1976. La mobilisation appela les travailleurs de partout au pays à délaisser leur travail et à descendre dans les rues le même jour pour défendre une cause commune. On estime que plus d'un million de travailleurs s'absentèrent du travail pour appuyer la Journée de protestation.

Au Nouveau-Brunswick, des manifestations publiques eurent lieu à Moncton, Fredericton, Newcastle, Campbellton, Dalhousie et Edmundston. La protestation la plus vaste et la plus efficace se déroula à Saint-Jean. Dans l'une des démonstrations de solidarité syndicale les plus réussies du pays, des travailleurs des quatre coins de la ville manifestèrent, paralysant la ville pour la journée.

La lutte contre le contrôle des salaires fut couronnée de succès. Les syndicats signifièrent leur refus de se conformer en insistant sur la négociation sans égard au contrôle des salaires puis en appelant régulièrement de certaines décisions défavorables et parfois en s'y soustrayant. La mobilisation sensibilisa les Canadiens et les Canadiennes à l'importance des travailleurs dans la vie économique du pays et démontra qu'ils étaient déterminés à défendre la négociation collective en tant que droit démocratique. Lorsqu'il fut abandonné en 1978, le contrôle des salaires avait déjà perdu toute crédibilité. Le premier ministre qui avait introduit cette mesure subit la défaite aux élections de 1979 et se prépara à prendre sa retraite.

En rétrospective, l'imposition du contrôle des salaires marqua un point tournant dans l'histoire du travail au Canada, survenu au milieu d'une décennie qui avait vu l'introduction d'un nouveau Code canadien du travail (1972) mais qui se termina par l'adoption d'une Constitution et d'une Charte des droits et libertés (1982) qui offraient peu de protection particulière aux droits syndicaux. Les syndicats furent la cible d'autres attaques dans les années subséquentes, alors que les gouvernements et les employeurs s'engagèrent dans divers types de restructuration économique et politique qui minèrent les droits des travailleurs, et promirent le libre-échange et l'intégration économique au détriment du niveau de vie des travailleurs. La lutte contre le contrôle des salaires dans les années 1970 fut une démonstration de solidarité qui contribua à préparer le mouvement syndical canadien à jouer un rôle plus actif lors de la prochaine vague de luttes.