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04 mai 2024  
 

FTTNB Prix de solidarité - James Brittain (2006)

La valeur des syndicats pour les travailleurs et la société :
un exemple de la lutte de la classe ouvrière à Saint John (N.-B.)

Par James Brittain
University of New Brunswick

La lutte de la classe ouvrière dans la province du Nouveau-Brunswick a connu des périodes de justice et des attaques dévastatrices contre l'unité organisée des travailleurs et des travailleuses. La célèbre grève des tramways à Saint John en juillet 1914 mit en lumière la ténacité des travailleurs et des travailleuses et leur capacité à mobiliser les gens en un mouvement d'opposition contre les intérêts économiques exploiteurs de quelques privilégiés. La lutte remarquable menée par la section locale 663 de l'Amalgamated Association of Street and Electric Railway Employees illustre cette lutte classique.

À l'été de 1914, les travailleurs et les travailleuses des tramways membres de la nouvelle section locale 663 craignaient la disparition de leur syndicat en raison des pressions exercées par les capitalistes et l'État. En réponse à cette menace, ils déclenchèrent une grève le 22 juillet. Non seulement les grévistes des tramways démontrèrent immédiatement la capacité de la classe ouvrière à coordonner les prolétaires en un mouvement de solidarité, mais aussi ils amenèrent de nombreux membres de la société civile à s'unir pour s'opposer aux intérêts de la classe dominante. En moins de 24 heures, plusieurs milliers de citoyens et de citoyennes de Saint John - des syndicalistes, des travailleurs et des travailleuses, des mères et des enfants, etc. - faisaient la haie le long des rues de la ville portuaire pour démontrer leur solidarité avec les grévistes. Ceux-ci firent preuve d'un courage incroyable et d'une grande résolution en résistant à l'exploitation économique pratiquée par les propriétaires de la St. John Railway Company, ainsi qu'au pouvoir de coercition de l'État, qui tentait d'affaiblir les travailleurs et les travailleuses et l'unité des gens de la ville.

Le 23 juillet 1914, des milliers de grévistes des tramways et de membres de la société civile envahirent le centre-ville de Saint John pour empêcher les tramways de maintenir leurs trajets (par l'entremise de briseurs de grève) et de continuer à générer des profits pour les propriétaires. Cependant, le gouvernement, en appui de la classe capitaliste, donna ordre aux Royal Canadian Dragoons (cavalerie armée) d'attaquer avec des épées à tranchant plat toutes les personnes (y compris les enfants) qui faisaient la haie le long des rues. En réaction à cette agression coercitive, les travailleurs et les travailleuses ne se dispersèrent pas de façon chaotique ou en proie à la peur : ils répondirent plutôt en se montrant résolus à ne pas céder aux menaces et à la violence de l'État et des capitalistes. C'était une réponse à un conflit entre classes sociales unifiées, qui donna lieu à l'un des plus importants actes de camaraderie de la classe ouvrière que l'on ait jamais vus dans l'histoire de la côte est. Les travailleurs et les travailleuses se mobilisèrent avec une telle cohésion que la cavalerie (et la milice appelée le 24 juillet) ne put résister à la force des grévistes des tramways. Le 25 juillet, la grève prit fin en faveur des travailleurs et des travailleuses !

Après cette victoire importante dans l'histoire de la lutte ouvrière au Nouveau-Brunswick, nous avons vu, ces derniers temps, un revirement dans les attaques menées par les gouvernements et les capitalistes contre les syndicats et les travailleurs et les travailleuses. Les attaques récentes de la classe dominante sont menées non pas par la violence, mais par des résolutions économiques qui favorisent tout de même les propriétaires, plutôt que la main-d'œuvre et la société dans laquelle elle vit. C'est dans de telles périodes que l'on doit comprendre la valeur des syndicats pour les travailleurs et les travailleuses et pour la société.

Il est important de noter qu'aucune région ni aucune province n'échappe au besoin expansionniste structurel du capitalisme, qui cherche à accroître les profits aux dépens de la société, de la classe ouvrière et de l'environnement. Toutefois, s'il y a une province où s'exprime la polarisation grandissante entre la classe ouvrière et l'élite fortunée et politique sur les plans social, politique et économique, c'est bien ici, au Nouveau-Brunswick.

L'une des villes clés du Nouveau-Brunswick est Saint John, qui offre un exemple éloquent et inquiétant de cette polarisation des classes. Récemment, on a décrit la ville portuaire comme étant l'une des plus appauvries du pays. De nos jours, le taux de pauvreté y est tel qu'une personne sur quatre est démunie et que 60 % des familles monoparentales ont de la difficulté à survivre. Pourtant, malgré ces réalités troublantes, le conseil communal de la plus vieille ville incorporée du Canada a récemment permis à l'une des familles (et l'un des empires économiques) les plus riches du pays de bénéficier d'une entente fiscale - réglée à huis clos - qui a réduit et continuera de réduire les recettes fiscales locales pendant le prochain quart de siècle, tout en augmentant de façon spectaculaire les revenus de l'entreprise grâce à l'emploi d'une main-d'œuvre non syndiquée.

Au printemps, le Conseil communal de Saint John a accepté de plafonner la taxe foncière à 500 000 $ par année pour 25 ans, au lieu des 5 M$ anticipés par année qui auraient été tirés de la perception de la taxe foncière. Le dégrèvement fiscal accordé par l'État à Irving Oil est dû en partie à la construction prévue d'un nouveau terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) dans la région (construction qui, en plus d'entraîner la dévastation de l'environnement, met en péril les zones de pêche au homard fréquentées par les pêcheurs de l'endroit). Si l'on fait le calcul en fonction d'un taux d'inflation de 2 à 3 %, les pertes totales en revenu imposable, que devront combler les simples travailleurs et travailleuses - s'élèveront à plus de 121 500 00 $ en l'an 2030.

Ce qui est troublant, c'est qu'alors qu'il procédait à telles actions, le même conseil municipal a augmenté récemment les tarifs d'énergie pour la classe ouvrière et a déclaré publiquement qu'il lui est impossible de fournir des millions de dollars en fonds de pension destinés aux employés municipaux déjà à la retraite. La Ville accuse présentement un manque à gagner de plusieurs millions de dollars en rendements des fonds de pension de son personnel à la retraite, et le déficit pourrait attendre 88 M$ dans l'avenir. Ironiquement, en réponse à ce déficit, le Conseil communal de Saint John a déclaré qu'il lui faudra peut-être augmenter à nouveau les taxes de la classe ouvrière si le gouvernement provincial ne vient pas « sauver la situation » . Une telle déclaration nous amène à nous demander : où le gouvernement provincial, qui a appuyé l'allègement fiscal accordé au terminal de GNL, est-il censé trouver l'argent ? La réponse : dans les poches des travailleurs et des travailleuses de la province et de la société civile !

En novembre dernier (2005), le Conseil a porté l'insulte à son comble en acceptant d'appuyer le projet d'Irving Oil de construire un (deuxième) chemin menant au site du nouveau terminal de GNL. La Ville a pris des dispositions pour affecter environ 2 M$ à la construction du chemin, alors que l'entreprise privée paiera le reste des coûts estimés à 10 M$. Cependant, ce n'est pas là l'aspect le plus dérangeant de cette nouvelle entente. Devant l'ampleur du projet, le Conseil communal a proposé l'expropriation des personnes qui détiennent les titres des propriétés dans le secteur comme moyen de se procurer les terres requises pour le chemin. Il est inquiétant que l'État propose d'exproprier des terres appartenant à la classe ouvrière et à de petits salariés du Nouveau-Brunswick, pour ensuite les donner à la famille la plus riche et la plus puissante et au plus grand propriétaire foncier de la région. Est-ce à cela que devait servir la loi sur l'expropriation par l'État, exproprier le peu de propriété que possèdent les gens ordinaires dans le seul but d'apaiser les intérêts capitalistes dans leurs efforts pour accroître les profits des entreprises privées ?

C'est en se fondant sur les faits rapportés ci-dessus que la population active du Nouveau-Brunswick doit s'unir pour s'opposer à ces pressions et à d'autres pressions qui sont indûment exercées sur la situation des travailleurs et des travailleuses et leur environnement. Néanmoins, tous les membres de la société néo-brunswickoise doivent reconnaître l'importance du mouvement syndical et sa capacité à unir les gens pour défendre un objectif commun de lois équitables et de pratiques justes qui profitent à la majorité des membres de la société, et pas seulement à quelques privilégiés. C'est dans des moments comme ceux-ci que la société se doit de reconnaître l'importance historique que les syndicats ont eue non seulement pour les travailleurs et les travailleuses qui en font partie, mais aussi pour la population en général. C'est dans des moments comme ceux-ci que la population du Nouveau-Brunswick doit jeter un regard en arrière sur les luttes telles que la grève des travailleurs et des travailleuses des tramways en 1914, et reconnaître que la valeur des syndicats pour les travailleurs et les travailleuses et la société est essentielle afin que le commun des gens puisse collectivement parler d'une voix claire et unie.

Vive la lutte de la classe ouvrière !