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05 mai 2024  
 

Lieux historiques ouvriers

Escuminac, 1959

MONUMENT AUX PÊCHEURS : Le monument est érigé au quai d'Escuminac. Les trois figures représentent un groupe de pêcheurs munis de leur habit de travail et de leurs filets, prêts à affronter la mer pour se livrer à leur métier. Les noms des victimes et des survivants du désastre d'Escuminac sont inscrits sur des plaques de bronze.

Le plus impressionnant monument ouvrier au Nouveau-Brunswick commémore le pire désastre jamais survenu en milieu de travail dans l'histoire de la province. Cette catastrophe connue sous le nom de Désastre d'Escuminac eut lieu durant la nuit du 19 au 20 juin 1959 lorsque 35 pêcheurs, des hommes et des garçons, ont péri dans une violente tempête littorale. Le quai d'Escuminac, localisé à l'entrée de la baie de Miramichi, représentait alors le centre d'activité par excellence pour les pêcheurs de plusieurs communautés environnantes. Lorsque les pêcheurs partirent en mer ce jour de juin 1959 afin de poursuivre la pêche lucrative du saumon, les prévisions météorologiques du bureau d'Halifax n'indiquaient rien d'anormal, hormis des vents légers. Ce n'est que plus tard en soirée que des avis de tempête violente furent émis. Malheureusement, aucun bateau de pêche n'était muni d'une radio. C'est en vain que les pêcheurs durent affronter l'intempérie, leurs filets étant déjà tendus. Des bourrasques de vent d'environ 75 miles à l'heure (120 km/h) et des raz de marée d'une hauteur de 50 pieds (15 mètres) réduisirent en miettes 22 des 32 bateaux, de même qu'un grand nombre de filets de pêche et de cages à homard. Bien que 16 des pêcheurs furent épargnés par l'effroyable tempête, 35 d'entre eux ne purent échapper à la mort. La plus jeune des victimes était âgée de 13 ans seulement.

Le triste événement engendra des répercussions socio-économiques pour le moins affligeantes dans la région et fut même comparé au désastre minier de Springhill, survenu l'année précédente. Suite à une enquête interne du département des Transports du Canada, personne n'eut à porter le blâme du malheureux incident. Des recommandations furent tout de même émises afin d'éviter qu'une tragédie semblable ne se reproduise. On proposa d'émettre davantage de prévisions locales, d'équiper les bateaux de pêche de radios et de munir les quais d'un meilleur éclairage.

Mais durant toute cette période, ce qui retint davantage l'attention fut le lancement du « Fonds de secours pour les pêcheurs » par le Daily Gleaner de Fredericton et son directeur, le brigadier Michael Wardell. Au cours des mois qui suivirent le drame, ce fonds reçut des contributions de partout au pays, y compris même une donation offerte par le pape Jean XXIII et la reine Élizabeth - alors en visite royale au Canada. On amassa plus de 400 000 $, ce qui permit d'accorder une assistance limitée mais durable à 24 adultes et 83 enfants, soit les veuves et les orphelins victimes de cette tragédie.


MAQUETTE DU MONUMENT AUX PÊCHEURS, 1959 : Maquette de bois de 24 pouces pour une sculpture intitulée Les Pêcheurs - The Fishermen. La qualité de cette maquette fut honorée lors d'une exposition se déroulant au Musée du Nouveau-Brunswick, en 1962, au cours de laquelle Claude Roussel obtint le premier prix.

Le drame permit également de mettre en lumière les piètres conditions de vie des communautés de pêche. Dans la préface d'un livre portant sur la catastrophe et publié par un journaliste, le brigadier Wardell affirme que « la leçon à retenir du désastre porte sur le fait que dans ce jeune, fort et riche pays que constitue le Canada, il y a des milieux de vie, ici et là, aussi primitifs et misérables que certaines régions européennes touchées par la peste au cours de l'époque médiévale » [traduction].

Étant donné l'ampleur du tragique incident, nous assisterons, 10 années plus tard, à l'inauguration d'un important monument public au quai d'Escuminac. Cependant il est important de souligner qu'un modeste monument en pierre à chaux avait déjà été mis en place en 1960, devant l'église St. John The Evangelist, à Baie du Vin, afin de commémorer les pêcheurs de cette communauté décédés en mer en juin 1959.

Durant la même période, à Edmundston, un jeune artiste acadien, Claude Roussel, avait réalisé une esquisse de bois de 24 pouces (60 cm) pour une sculpture intitulée Les Pêcheurs - The Fishermen. La qualité de cette maquette fut honorée lors d'une exposition se déroulant au Musée du Nouveau-Brunswick, en 1962, au cours de laquelle Roussel obtint le premier prix. Alors qu'il exerçait son art à la Galerie Beaverbrook de Fredericton, le talentueux sculpteur présenta son œuvre au brigadier Wardell.

Quelques années plus tard, comme le dixième anniversaire du triste événement approchait, Wardell annonça à Roussel qu'il avait pu recueillir, grâce à la Fondation Beaverbrook, les fonds nécessaires pour mettre en branle la conception du monument. Des résidents de la région d'Escuminac organisèrent des collectes de fonds pour défrayer les coûts associés à la fondation du monument, ainsi qu'aux plaques de bronze sur lesquelles seront inscrits les noms des victimes et des survivants.


DÉGROSSISSAGE DU BLOC DE PIERRE DU MONUMENT AUX PÊCHEURS : Claude Roussel et ses assistants travailleront six mois pour créer le monument d'Escuminac. Le monument sera sculpté dans une carrière à Shédiac.

Roussel et ses assistants travailleront six mois afin de créer cette remarquable œuvre d'art qui présente trois figures humaines stylisées, d'une envergure de sept pieds (2,3 mètres). L'imposant monument de pierre pèse 10 000 livres - soit presque 5 tonnes - et est érigé au quai d'Escuminac. Les figures sont visibles à partir de la terre et de la mer et leur apparence change en fonction de la lumière et du brouillard présents sur la baie. Elles n'incarnent aucun individu spécifique, mais représentent plutôt un groupe de pêcheurs munis de leur habit de travail et de leurs filets, prêts à affronter la mer pour se livrer à leur métier. Moderne dans son style, Roussel a tenu à créer un monument qui sache rendre hommage à la dignité, au courage de la vie quotidienne de même qu'au travail des pêcheurs. Bref, l'artiste a voulu évoquer la compassion.

Le dévoilement du monument eut lieu le 19 juin 1969. Ce fut un événement d'envergure qui rassembla plus de 2000 personnes, dont le premier ministre Louis J. Robichaud et l'ancien premier ministre Hugh John Flemming. On accorda une attention particulière aux veuves et aux descendants des pêcheurs décédés. Selon les dires de plusieurs témoins, la cérémonie fut empreinte de peine et de joie pour toutes les familles qui assistèrent au dévoilement de cette statue rendant hommage aux leurs. Depuis, des activités publiques sont présentées lors des anniversaires soulignant le désastre.

Par ailleurs, en 2001, le gouvernement du Nouveau-Brunswick proclamait le monument site historique provincial. Pour souligner l'événement, on dévoila une plaque commémorative au quai d'Escuminac lors d'une cérémonie publique tenue le 8 juillet.

Pour bien des pêcheurs, le monument érigé en 1969 rappelle les dangers associés à la navigation, la nécessité de pêcher avec prudence et le respect que l'on doit à la mer puisque les éléments de la nature sont plus forts que tout. « Tant qu'il y aura des pêcheurs, disent-ils, le monument d'Escuminac ne sera pas inutile » . Somme toute, ce dernier illustre parfaitement l'importance que la commémoration représente aux yeux des travailleuses et des travailleurs de la province.