Intervention gouvernementale et réaction du public

Octobre 1918, le mois même où la grippe espagnole a fait irruption au Nouveau Brunswick, est également celui de la création du ministère de la Santé du Nouveau Brunswick. Cette situation a immédiatement placé la toute nouvelle organisation, dont la mise sur pied avait fait l’objet de multiples débats, au cœur de l’une des pires crises sanitaires qu’ait connues la province (Jenkins, « Baptism of Fire » 320). Le ministre de la Santé, William F. Roberts, et le médecin hygiéniste en chef, George Melvin, ont rapidement lancé différentes initiatives pour confiner la province et empêcher une diffusion plus importante de la grippe espagnole. Cette catégorie explore les institutions et les mesures gouvernementales visant à prévenir de graves difficultés généralisées, ainsi que la réaction du public à ces interventions gouvernementales sans précédent.

Santé publique

Nombreux sont ceux qui attribuent le nombre comparativement faible de décès subis dans la province aux mesures rapides mises en œuvre par le nouveau ministère de la Santé.

Avant la pandémie de grippe espagnole, le Nouveau Brunswick avait dû agir face à de nombreuses épidémies comme la lèpre en 1816, le choléra asiatique en 1833 et, à nouveau, en 1854, le typhus en 1847 et la variole de 1901 jusqu’après la Grande Guerre (Stewart, Medicine in New Brunswick, 117 8). Une première alerte face à la variole, entre 1788 et 1792, avait débouché sur la première législation de la province en matière de santé publique, en 1796, qui imposait une « quarantaine maritime » aux voyageurs arrivant à Saint John par la mer. Cette mesure a été ensuite généralisée dans toute la province, en 1799. En 1833, dans le contexte d’une épidémie de choléra asiatique, différents comtés ont mis en place des conseils locaux de la santé. Bien que ces organismes aient souvent souffert d’un manque de financement et d’expertise médicale, ils ont démontré leur utilité en situation d’urgence (Sturgeon, Health Care in New Brunswick: 1784–1984, 3). En 1867, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique désignait les soins de santé comme relevant largement de la responsabilité des provinces. Vingt ans plus tard, en 1887, le Nouveau Brunswick adoptait sa propre Loi sur la santé publique provinciale et établissait le Conseil provincial de la santé (Sturgeon, Health Care in New Brunswick: 1784-1984, 7 8).

En 1917, William F. Roberts, alors coroner de Saint John, est désireux de transformer la santé publique au Nouveau Brunswick, ce qui l’amène à se présenter et à être élu à l’Assemblée législative provinciale, avant d’être nommé ministre sans portefeuille du gouvernement libéral cette même année (Doyle, Front Benches & Back Rooms, 9; 141). Après d’intenses débats, à l’Assemblée législative, ayant essentiellement porté sur des problèmes de financement, la Loi sur la santé publique est adoptée le 26 avril 1918 et mise en œuvre, ultérieurement, en octobre de cette même année. À la barre du nouveau ministère de la Santé, on trouvait le premier ministre de la Santé de l’Empire britannique, William F. Roberts, et le médecin hygiéniste en chef, George Melvin. Outre la gestion de la pandémie, le Ministère a lancé, parmi de nombreuses autres réformes, les inspections sanitaires, la vaccination obligatoire contre la variole, la mise en œuvre de la pasteurisation du lait et le recueil officiel des statistiques de l’état civil (Doyle, Front Benches & Back Rooms, 184).

Les archives suivantes, composées de rapports synoptiques, de notes de presse et de correspondances, tracent les débats ayant précédé la création du ministère de la Santé et présentent plusieurs mesures mises en œuvre au début de la pandémie.


Portrait de l’honorable Dr William F. Roberts qui présidait aux destinées du Nouveau Brunswick en matière de santé durant la pandémie de grippe espagnole de 1918.

Source: P107-1: photographies du ministère de la Santé.

L’honorable William F. Roberts, docteur en médecine, est né à Saint John le 18 décembre 1869 de Hannah Porter et John Roberts (SD141 C5 : Index des certificats de décès, Statistiques de l’état civil tirées de documents gouvernementaux de APNB). Surtout connu pour avoir été le premier ministre de la Santé de l’Empire britannique, Roberts était un ardent défenseur d’une réforme de la santé publique (Stewart, Medicine in New Brunswick, 118).

Il a étudié à l’Université du Nouveau Brunswick et au Bellevue Hospital, sous l’autorité du professeur Herman M. Biggs, à New York. À l’issue de sa carrière universitaire, il a travaillé comme médecin pendant quarante quatre ans. Avant de bifurquer vers la politique, il a été coroner de la ville de Saint John (Stewart, Medicine in New Brunswick, 118). Médecin respecté et membre actif de sa collectivité, il s’est présenté aux élections provinciales de 1917 pour le parti libéral. Avant de se faire le défenseur d’un ministère de la Santé, par l’intermédiaire de la Loi sur la santé publique, et de réussir à l’imposer, Roberts a été ministre sans portefeuille (Doyle, Front Benches & Back Rooms, 141). Il était à la fois en faveur de la prohibition et du droit de vote des femmes.

Parmi les principales réalisations à mettre à son actif, on compte sa gestion de la pandémie de grippe espagnole et la quasi éradication de la variole, grâce à la mise en place de vaccinations obligatoires. Il n’a finalement pas réussi à être réélu en 1925, après avoir provoqué la colère des acteurs du secteur des produits laitiers de la province, en ayant imposé la pasteurisation obligatoire du lait, une mesure ayant débouché sur un accroissement des prix (Stewart, Medicine in New Brunswick, 119; Doyle, Front Benches & Back Rooms, 251). William F. Roberts est décédé, à l’âge de 68 ans, à Saint John, le 10 février 1938 (SD141 C5 : Index des certificats de décès, Statistiques de l’état civil tirées de documents gouvernementaux de l’APNB).

Bien que certaines de ses prises de position et un certain nombre des changements qu’il a apportés aient suscité des réactions négatives, ses contemporains comme les historiens ont loué son engagement envers le service public, ayant, au bout du compte, permis de sauver des milliers de vies au Nouveau Brunswick.


Portrait du Dr George G. Melvin, le premier médecin hygiéniste en chef du Nouveau Brunswick, qui a occupé ce poste au cours de la pandémie de grippe espagnole de 1918.

Source: P107-12: photographies du ministère de la Santé.

George Givan Melvin est né le 25 avril 1861, à Saint John, de Daniel Melvin et de Jane Cochran (SD141A1b : Index des demandes tardives d’enregistrement de naissance, film numéro 18758). Il a étudié la médecine au Bellevue Hospital, sous l’autorité du professeur Herman M. Biggs, la dermatologie à l’Université d’Edinburgh et la santé publique à l’Université McGill. Nommé médecin hygiéniste de district pour Saint John, en 1911, il s’occupe principalement de réglementation sanitaire dans les boucheries, les foyers et les latrines.

Melvin critique fortement les conseils locaux de la santé pour leur manque d’expérience et d’expertise (Jenkins, « Baptism of Fire »; 323). Travaillant en étroite collaboration avec le Dr William F. Roberts, Melvin va contribuer à réformer la santé publique dans la province, en occupant le premier poste de médecin hygiéniste en chef du Nouveau Brunswick (Jenkins, « Baptism of Fire »; 332).


Rapport synoptique de la réunion de l’Assemblée législative du 9 avril 1918, au cours de laquelle le député de Saint John John B.M. Baxter a désapprouvé l’attribution de fonds publics aux nouveaux postes décrits dans la Loi sur la santé publique, en ces termes : « Je ne crois pas que la santé publique ait soudainement atteint un tel état que cela exige la création de ce nouveau ministère. »

Source: RS4: Journaux publiés des délibérations de l’Assemblée législative (rapports synoptiques), F257.


Compte rendu de la réunion du 15 avril 1918 de l’Assemblée législative, au cours de laquelle le député d’Arthurette J.F. Tweeddale condamne le montant proposé des fonds consacrés à la Loi sur la santé publique, précisant que ces fonds devraient plutôt être investis dans l’effort de guerre et non pas pour que « des médecins gagnent de l’argent ».

Source: RS4: Journaux publiés des délibérations de l’Assemblée législative (rapports synoptiques), F257.


Débat d’une réunion de l’Assemblée législative du 16 avril 1918, au cours duquel le député de Fredericton Junction David W. Mersereau explique que la Loi sur la santé publique est importante, car elle pourrait prévenir d’autres tragédies dues à des maladies comme la variole.

Source: RS4: Journaux publiés des délibérations de l’Assemblée législative (rapports synoptiques), F257.


Argumentation du député et futur premier ministre du Nouveau Brunswick, A. Allison Dysart, de Bouctouche, en faveur de la Loi sur la santé publique, au cours d’une réunion de l’Assemblée législative le 16 avril 1918, dans le cadre de laquelle il mentionne la nécessité d’éradiquer les maladies contagieuses dans le futur.

Source: RS4: Journaux publiés des délibérations de l’Assemblée législative (rapports synoptiques), F257.


Rapport de la réunion de l’Assemblée législative du 24 avril 1918, au cours de laquelle le Dr William F. Roberts affirme qu’au bout du compte, l’objectif de la Loi sur la santé publique est de protéger la population du Nouveau Brunswick et non pas d’amasser une fortune ou d’acquérir du prestige.

Source: RS4: Journaux publiés des délibérations de l’Assemblée législative (rapports synoptiques), F257.


Lettre du ministre de la Santé, William F. Roberts, en date du 7 octobre 1918, adressée au secrétaire du Conseil de la santé, recommandant des mesures de précaution contre la grippe espagnole au Nouveau Brunswick. Les ordres comprennent : la création d’hôpitaux publics pour mettre en quarantaine les patients atteints de la grippe espagnole; le signalement au Conseil de la santé de tous les cas diagnostiqués; l’isolement obligatoire de toutes les personnes proches de la personne infectée; la fermeture des écoles et des restrictions sur les rassemblements religieux, lorsqu’il y a des éclosions touchant un très grand nombre de personnes; le recours à la presse pour diffuser des messages de sensibilisation aux procédures de santé publique.

Source: RS136-L5d3.1: Archives du sous ministre de la Santé.


Lettre du ministre de la Santé, William F. Roberts, en date du 7 octobre 1918, adressée au secrétaire du Conseil de la santé, appelant une nouvelle fois à des mesures de précaution, compte tenu de la gravité des situations prévalant dans les provinces et les États voisins. Afin d’éviter le plus grand nombre possible de cas de grippe espagnole et de décès, le ministre recommandait la mise en place de centres conçus pour accueillir les voyageurs en quarantaine, ainsi que des communications, publiées dans tous les journaux du Nouveau Brunswick, sur les recommandations en matière de santé publique.

Source: RS136-L5d3.2: Archives du sous ministre de la Santé.


« Téléphone y pis y ne vienne pas icite parce que y dit coucher icite ou ben boire quelque chose que les autres boira ben y peut attraper ça »

- Mme Hector Michaud


Annonces de santé publique dans le numéro du 9 octobre 1918 de la Royal Gazette, le journal officiel du gouvernement, concernant l’organisation du Bureau de la santé et les rôles des agents du Bureau.

Source: MC1428: fonds The Royal Gazette, F00479.

Transcript of Royal Gazette - 9 October 1918


Notes de presse non datées faisant le point sur les cas de grippe espagnole dans toute la province. On y trouve également une liste de restrictions imposant notamment que tous les cercueils entrant dans la province restent fermés et que toutes les funérailles soient tenues en privé.

Source: RS136-L5d5-14661-a: Archives du sous ministre de la Santé.


Loi à propos de l’épidémie de grippe confirmée, sanctionnée par le roi George V, concernant les coûts financiers des conseils de santé assumés pour la gestion de la grippe espagnole.

Sources: RS3-30638-240; RS3-30638-241; & RS3-30638-242: Lois et règlements du Nouveau Brunswick.


Archive d’une réunion de l’Assemblée législative du 6 mars 1919, au cours de laquelle le lieutenant gouverneur William Pugsley applaudit la gestion de la pandémie du ministère de la Santé et encourage les députés à soutenir ses futures initiatives.

Source: RS4: Journaux publiés des délibérations de l’Assemblée législative (rapports synoptiques), FFF257.


Extrait du discours du Dr William F. Roberts, donné à Boston, au sujet de la santé publique au Nouveau Brunswick, en date du 7 octobre 1923. Roberts décrit, du point de vue de la santé publique, la façon dont la nouvelle Loi sur la santé de 1918 a été immédiatement mise à l’épreuve par l’épidémie de grippe espagnole.

Source: RS136- A-23-h-2: Archives du sous ministre de la Santé.